Ce jour fut un jour banal et spécial à la fois, une journée chargée d’histoires, de visages, de sourires, d’intensité, de joies et de peines. Un jour que je souhaite partager car il illustre parfaitement ce que représente la “route” pour les vagabonds que nous sommes.
Cette journée commence à la frontière mexicaine à Laredo. Il est 7 heures, un vent frais et matinal chasse l’aurore. Nous finissons nos réserves, quelques fruits et deux “tamales”, derniers délices de la cuisine mexicaine, une sorte de pain de maïs cuit à la vapeur. Quelques dollars pour la frontière, montant obligatoire et non soumis à négociations et nous pouvons poser le pied sur le sol Etats-Uniens.
La plupart des frontières que j’ai rencontré sur mon chemin n’étaient que des formalités, un droit de passage, une limite qui serait invisible si ce n’était pour ces douaniers endormis dans leurs petites casernes. Mais cette frontière est bien différente, personne n’y dort. Tous sont aux aguets et pour une fois, le pont qui marque la frontière apparaît comme un véritable passage entre deux mondes. En effet, au fur et à mesure que l’on avance, le chaos bruyant et agité d’une matinée banale au Mexique s’éloigne peu à peu pour laisser place à un silence ordonné. Nous croisons quelques vendeurs de sucreries malicieusement assis au milieu du pont, dernière chance pour vendre leurs camelotes...Un mètre de plus et ils se feraient déloger par la police. Les rues exiguës semées de déchets et sans trottoirs cèdent la place à de larges avenues bien propres, espacées, entourée de parterres de gazon. La plupart des gens que nous croisons sont mexicains, mais semblent bien différent de leurs compatriotes de l’autre côté. Ils vaquent à leurs occupations silencieusement, respectant l’ordre établi. Pas de poste usé crachant une musique nasillarde, pas de mec louche qui s’approche pour vendre quelques dollars, pas de chien errant clopinant sur trois pattes à la recherche d’un bout de poulet. En l’espace de quelques mètres nous avons l’impression d’être passé dans une autre dimension.
Au Mexique, pour faire du stop, il suffit de marcher jusqu’à la sortie de la ville et attendre sur le bord de la route, le pouce levé. Aux États-Unis, la démarche est différente. Tout d’abord il faut dénicher un bout de carton et écrire une destination quelconque, ça aide. Les gens prennent confiance, nous ne sommes pas de simples vagabonds qui errent mais des voyageurs à l’objectif précis. Les “freeway”. sortent d’autoroute gratuite, sont interdits aux piétons, il faut trouver une rampe d’accès et espérer qu’un véhicule s’arrête. Entreprise difficile sur la route du Nord, j’ai beau avoir la peau très blanche et malgré notre style vestimentaire très hippy, tous nous voient comme des immigrés qui auraient miraculeusement échappé aux patrouilles policières qui ne cessent pourtant de passer devant nos regards curieux...les automobilistes nous font des signes sympathiques mais aucun ne s’arrête.
6 heures plus tard, nous sommes toujours à l’entrée de la “35 North” qui va directement à San Antonio. Nous avons essayé trois entrées différentes et ce n’est qu’au moment où nous perdons espoir et que Yazmín essaye de me convaincre de prendre un bus qu’un mexicain stoppe son véhicule. Il peut nous emmener 15 kilomètres plus loin dans une station essence, un “truck stop” là où les camionneurs attendent leurs ordres. Jessie, traduction plus cool de Jesus, est sortit trois semaines plutôt de prison mais il essaye de nous convaincre de son repentir. Il a trouvé refuge en Dieu, il va à l’église et s’occupe de ses deux enfants, l’une a 15 mois. Malheureusement, ses paroles ne reflètent que très peu ses actions et lorsqu’une voiture de police s’approche, il s’empresse de terminer la cocaïne qu’il portait sur lui.
L’agent de sécurité de la station essence ne nous laisse que 5 minutes avant de déguerpir. Les vagabonds sont interdits dans la station essence et il est encore plus interdit de “déranger” les clients. Nous marchons donc quelques mètres jusqu’à l’entrée du “freeway” et attendons notre chance. 30 kilomètres plus loin, les douaniers ont planté un point de contrôle et nous nous préparons à une longue attente. Mais étonnamment, un camion finit par dévier sur sa droite. Max, un russe qui parle guère mieux que nous l’anglais nous accueille avec 4 mots qu’ils répète avec insistance: “you got green cards?” (vous avez un visa?)
Nous mentons, sachant que nos passeports ferons l’affaire et nous passons la douane sans soucis. Max est gentil mais les discussions sont brèves, il passe son temps au téléphone à baragouiner en russe toutes sortes d’histoires d’où nous ne parvenons à intercepter qu’un mot anglais de temps à temps. Nous nous contentons de la musique “dance” des années 90 qu’il écoute et contemplons la longue route rectiligne qui s’étale jusqu’à l’horizon. Max a passé dix ans aux États-Unis et la Russie ne lui manque pas. Il s’est remarié, il est fier de faire partie des 5 millions de “truckers” des États-Unis et gagne bien sa vie . Nous n’en saurons pas plus.
300 kilomètres plus loin et une courte sieste, nous arrivons à San Antonio.
Après avoir attendu 6 heures dans la matinée, il semble que l’univers soit devenu plus clément avec nous. Nous n’attendons pas plus de dix minutes avant qu’un autre Mexicain nous emmène sur la route d’Austin. Ensuite c’est une femme d’une cinquantaine d’année qui prend la relève. À 18 heures nous sommes à 80 kilomètres d’Austin. Le crépuscule s’abat lentement sur nos espoirs mais nous sommes trop contents d’être arrivé aussi loin aujourd’hui. Comme toujours, la patience est récompensée dans l’art de l’Auto-stop. De plus, deux minutes après que Tamara nous ait laissé, un rouquin au volant d’un pickup bleu s’arrête et nous hèle avec un accent bien texan: “where y’all going?” (Où c’est que tu vas? en version franc-comtoise...)
Ce rouquin s’appelle Zach, il a 24 ans, une stature forte, un gabarit comme on imagine celui des vikings d’autrefois, la peau blanche, presque translucide laissant voir ses veines bleues, deux tatous sur les mollets représentant Toutankhamon et Ankh, le signe de la fertilité égyptien, un autre sur le gosier montre l’œil d’Horus, et un cristal lui pend au coup. Il nous accueille dans le capharnaüm de son véhicule avec un grand sourire qui dévoile une rangée de dents jaunies. Il nous expliquera plus tard que c’est parce que sa mère travaille pour un dentiste et que les fils de maçon sont toujours les plus mal logés! Ses premières paroles sont dédiées à ses origines: un mélange subtil de racines israéliennes et écossaises.
Il ne va pas à Austin mais refuse de nous laisser dormir dans une station essence et nous invite à passer la soirée en sa compagnie dans son “camper”, une caravane qu’il loue en bord de rivière. Dans un premier temps, il nous emmène à la cour de justice de San Marcos. Malgré le fait que cette ville ne compte pas plus de 50 000 habitants, la justice s’y est offert un bâtiment immense aux allures de parlement...c’est le plus grand édifice de la communauté. Son “homie”, version américaine de “pote” est en “meeting”. Cette “réunion” est une sorte de rendez-vous obligatoire et hebdomadaire pour ceux qui sont en liberté conditionnelle. Dax, un jeune homme svelte et brun en subit la cause depuis 5 ans suite à une affaire de transfert de marijuana entre la Californie et le Texas. Pendant sa liberté conditionnelle, il est censé respecter la loi à la lettre sous risque d’être envoyé en prison. Comme nous le verrons vite il n’en fait rien. C’est suffisant nous dit-il de devoir payer 110 dollars par moi et 50 de plus à chaque réunion. “a good way for them to make money” nous commente-t-il. “Ça coûte moins cher que nous mettre en prison et en plus il se font de l’argent”. Dax est fasciné par le DMT est situe cette drogue au rang des découvertes spirituelles les plus importantes dans l’histoire de l’humanité. Malgré le fait que Yazmin et moi-même ne prenions aucune drogues, ils se lient d’amitié avec nous. La nuit est froide, l’hiver n’est pas encore terminé et nous sommes bien content de ne pas être dans la rue à ce moment là.
Comme promis, Zach nous invite dans son camper, sur le bord d’une petite rivière. Nous glissons sur la route au rythme de son dubstep”, Zach est un fanatique de musique électronique qu’il écoute au travers de son Iphone. L’Iphone, c’est un objet qui semble devenu indispensable à la vie des citoyens Américains. Tous en ont et comme l’affirme tristement Zach: “I can’t live without this shit” (je ne peux pas vivre sans cette ...)
Le camping est très stérile, un grand champ taillé au milieu d’un bois au bord d’une rivière, un gazon soigneusement entretenu et des dizaines de caravanes alignés sur des parcelles de 16 mètres carrés. Il paye 300 dollars par moi avec l’eau et l’électricité. La plupart des habitants de ce lieu sont des retraités qui ont vendu leurs maisons et vivent leurs retraites dans leurs “RV” sortes d’immenses camping-car de luxe.
Zach est un personnage intéressant, sa dépendance à la marijuana, ses tatous et son style vestimentaire en font un jeune des plus alternatifs et pourtant, il prône orgueilleusement sa nature de Texan! Il n’est pas américain, il est Texan et il aime les armes. Il défend fièrement le port d’armes pour la défense du citoyen. Il a un “shotgun” d’un mètre environs qui “dort” à côté de son lit en permanence et tout un arsenal de couteau. Cela dit, il reste très ouvert d’esprit curieux et sans jugement. Il nous accepte comme nous sommes et nous ne pouvons en faire autrement à son égard. Il descend quelques bières, un dernier joint et il nous invite à dormir.
Cette journée se termine sur un sofa sous d’épaisses couvertures à l’intérieur de son camper en écoutant “rain et thunder”(pluie et tonnerre). “je ne peux pas dormir dans le silence” nous lance-t-il en guise de bonne nuit. Une journée banale et exceptionnelle à la fois, comme le sont toutes les journées sur la route. Et ce qui la rend exceptionnelle ce n’est pas tant les gens que nous rencontrons ou les lieux que nous visitons mais cette intensité présente à chaque pas. Les joies et les craintes se mélangent au cours de la journée dans un tourbillon de sensations qui nous rappellent constamment qu’il est bon de vivre.
Magnifique! Tu écris vraiment très bien ;)
RépondreSupprimerAutostoppeur moi-même depuis l'adolescence tes trois dernières phrases mon ému. Elle nous rassemble vers ce sentiment de vie; de vivre chaque pas, a chaque instant, de chaque seconde, que la vie elle même nous invite a la découvrir... a ce découvrir...
Best regards
Julien Monteiro